La cathédrale transfigurée : Notre-Dame de Paris dans les textes et les images de la fin du Moyen Âge (XIVe-XVIe siècles)
Par Judith Förstel, conservatrice en chef du service Patrimoines et Inventaire du Conseil régional d’Île-de-France, et Raphaële Skupien, auteur d’une thèse intitulée Le peintre et le monument. L’invention du paysage urbain dans la peinture parisienne à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVIesiècles).
Conférence du mercredi 16 janvier 2019
L’incendie du 15 avril dernier a réaffirmé le statut de monument emblématique de la ville de Paris et de la France dont jouit encore Notre-Dame de Paris aujourd’hui. Les sources attestent ce statut dès le Moyen Âge, d’abord dans les textes puis dans les images, comme le montrent nos deux thèses soutenues en 2017 sur les représentations de Paris et de sa région. Ce qui justifiait cette conférence à deux voix : celle de Judith Förstel, L’image de Paris et de l’Île-de-France au Moyen Âge (fin XIIe – début XVIe siècle) (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction d’Olivier Mattéoni), s’appuyant sur les textes littéraires et celle de Raphaële Skupien, Le peintre et le monument. L’invention du paysage urbain dans la peinture parisienne à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVIe siècles) (Université de Picardie-Jules Verne, sous la direction d’Étienne Hamon), sur les sources iconographiques.
Notre-Dame de Paris a très tôt suscité l’attention des écrivains et des artistes. Bien avant Victor Hugo et Walt Disney, une « cathédrale des signes » a fait écho au monument de pierre. Au XIVe siècle déjà l’évocation de la cathédrale suffit à caractériser la ville. La cathédrale joue un rôle essentiel dans les textes qui font la louange et la description de Paris, du XIVe au XVIe siècle. Les écrivains insistent sur ses vastes dimensions, sur sa vénérable ancienneté, sur la beauté de sa façade gouvernée par la symétrie de ses deux tours. Jean de Jandun, dans son Traité des louanges de Paris (1323), apprécie tout particulièrement le transept rayonnant et la disposition générale de l’édifice, qu’il analyse avec un vocabulaire issu de sa formation universitaire. Les auteurs du XVe siècle s’attardent également volontiers sur les détails du décor sculpté, tels que l’immense Saint Christophe commandée en 1413 par Antoine des Essarts, ou la clôture de chœur décrite par le Flamand Guillebert De Mets et par l’Italien Antoine d’Asti. C’est à cette époque qu’apparaissent les premières images.
Notre-Dame de Paris est, avec le Palais de la Cité, le monument parisien le plus fréquemment représenté par les peintres de la fin du Moyen Âge. Elle se reconnaît à ses deux tours carrées terminées en terrasse, bien visibles dans le paysage urbain et immédiatement reconnaissables par les contemporains. La notation archéologique du monument figuré par Jean Fouquet dans l’illustration des Heures d’Étienne Chevalier suggère une certaine familiarité de l’artiste avec l’édifice. D’autres peintres ont pu prendre des libertés avec la réalité. La galerie des rois, par exemple, change de niveau sur la façade d’une image à l’autre. Sa polychromie, pourtant attestée par les textes, n’a été reproduite ni par les peintres médiévaux ni par ceux de l’époque moderne. À partir des années 1470, l’imagerie parisienne déborde le cadre de la production locale. Les peintres flamands puis ligériens se sont fait un plaisir de réinterpréter le motif selon leur propre style : dans le manuscrit des Chroniques de Froissart connu sous le nom de « Froissart de Breslau », Liévin van Lathem a insisté sur la verticalité des contreforts, donnant à la cathédrale une allure plus élancée ; dans les Passages d’Outremer, Jean Colombe a mis l’accent sur les lignes horizontales, suivant une esthétique « à l’antique ».
La cathédrale se présente ainsi comme un monument incontournable de l’espace parisien. Église-mère du diocèse, elle n’en est pas moins un édifice lié au rituel monarchique puisqu’elle constitue une étape obligée des Entrées et des funérailles royales. Notre-Dame a joué un rôle dans la dévotion royale et dans les rituels liés à la monarchie même si, en la matière, la Sainte-Chapelle et Saint-Denis ont davantage été mis en scène par les chroniqueurs.
En somme, des hommes de toute l’Europe ont développé dès le XIVe-XVe siècle leur propre représentation de Notre-Dame de Paris. Pour eux, la cathédrale pouvait aussi bien symboliser la monarchie française qu’incarner les catégories d’Aristote. Quant aux peintres qui l’ont représentée, ils n’ont guère hésité à l’actualiser (ou la moderniser). En témoigne la parenté formelle de ses tours, dont on a gommé le décor de crochets, avec le clocher de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, achevé en 1522, dans la Tenture de l’Histoire des Gaules.