« Notre-Dame avant Viollet-le-Duc, l’œuvre du sculpteur J.-B. Plantar »
Le jeudi 27 février 2025, Justine Gain, Slifka Foundation Interdisciplinary Senior Fellow, The Metropolitan of Art, New York, docteur en histoire de l’art PSL/EPHE, est venue donner une conférence sur « Notre-Dame avant Viollet-le-Duc, l’œuvre de Jean-Baptiste Plantar (1790-1879), sculpteur ».
…/…
S’agissant de l’ouvrage monumental, et hautement symbolique, que constitue la cathédrale Notre-Dame de Paris, il est d’usage de lire dans les publications qui concernent sa restauration au xixe siècle des passages extrêmement succincts sur les décennies qui précédèrent l’arrivée d’Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) et de Jean-Baptiste Lassus (1807-1857) sur le chantier, en 1844. Pourtant, pendant près d’une trentaine d’années, l’édifice, son réaménagement et de fait sa restauration furent à la charge d’Étienne-Hippolyte Godde (1781-1869), architecte responsable des édifices religieux – nouveaux comme anciens – de la capitale.
À ses côtés, Jean-Baptiste Plantar (1790-1879), ornemaniste et sculpteur des Bâtiments du Roi, se distinguait alors par ses nombreuses réalisations au Louvre, aux Tuileries (où il se lia d’ailleurs d’amitié avec le jeune Viollet-le-Duc), ainsi qu’à Versailles, où il sculptait déjà d’ambitieux décors monumentaux empreints de classicisme, mais aussi de cet éclectisme naissant au tournant des années 1820. En parallèle, il mena une intense activité de restaurateur : à la cathédrale de Reims par exemple, mais aussi dans les nombreuses églises parisiennes, où il intervint durant la Restauration, puis la monarchie de Juillet, sous la direction de son ami Étienne-Hippolyte Godde.
Cette collaboration résultait en fait d’un système administratif établi depuis la Révolution française : la Direction des travaux d’architecture du département de la Seine et de la Ville de Paris. Au sein de celle-ci, l’architecte devait acquérir une position stratégique, qui le destinait à s’occuper des églises diocésaines à restaurer, avant d’être nommé « faute d’un architecte aussi spécialisé » à la tête des travaux de Notre-Dame, entre 1815 et 1844. Plantar se trouvait lui aussi lié à cette entité en tant qu’entrepreneur de la Ville de Paris favorisé, à ce titre, dans l’obtention des chantiers dépendant de cette administration.
Au cours de cette période, trois phases peuvent être distinguées. La première, entre 1815 et 1819, consista en quelques réfections éparses, qui se confondirent avec des travaux d’aménagements ordinaires, le temps pour Godde de prendre la mesure des restaurations à entreprendre pour faire perdurer l’édifice.
« S’il ne nous est plus permis de faire des monuments de cette importance, du moins qu’il nous reste la gloire de les conserver, ne fusse que comme une tradition de l’histoire. »
Dès lors, et ce jusqu’en 1825 environ, l’action menée à Notre-Dame se fit de manière plus structurée, à partir d’un devis établi pour plus de 700 000 F. Sur le chantier, plusieurs corps de métiers se mirent à l’ouvrage – maçons, vitriers, sculpteurs-ornemanistes et figuristes – essentiellement au niveau de la partie septentrionale. Cette seconde phase constitua le premier essai sérieux de restauration, dont l’initiative fut reprise une quinzaine d’années plus tard. Le constat de dégradation de la cathédrale se fit dès lors de plus en plus alarmant. En 1834, Godde rédigea un projet de restauration dans lequel il s’inquiétait de « l’état de souffrance et de ruine [de l’édifice] qui inspire la pitié ». Pour l’architecte, « aucune église en France n’a été frappée d’oubli comme la métropole de Paris ». Les travaux reprirent finalement en 1840 et Plantar fut à nouveau chargé de l’ornementation, tandis que les figures furent confiées à Théophile Caudron (1805-1848), davantage spécialisé dans la réfection ancienne, à la différence de son prédécesseur, Edme Gaulle (1769-1841).
Ces travaux, menés à une période relativement précoce dans l’histoire de la restauration telle qu’elle s’est construite depuis, mirent en exergue quelques enjeux majeurs appelés à revenir régulièrement dans les débats sur la déontologie à adopter dans de pareils cas. La question des matériaux se fit ainsi relativement centrale. Godde devint le fervent défenseur de l’usage du ciment, et plus largement des innovations industrielles dans les restaurations d’édifices anciens : le mastic de Dhil à Notre-Dame, le ciment de Molesme ou de Vassy à l’Hôtel de Ville de Paris, par exemple. En cela, Godde et Plantar – qui assura d’ailleurs les travaux sur ce dernier chantier – partagent une certaine affinité, le sculpteur manifestant lui aussi une appétence toute particulière pour ces matériaux, qu’il employa du reste à la chapelle du château d’Amboise, à Versailles ou encore à Fontainebleau. De même, la question du mobilier religieux, de son style, commença elle aussi à émerger. Godde fit le choix d’une certaine cohérence esthétique entre le décor restauré et l’orgue qu’il commanda en 1841 pour agrémenter le chœur de la cathédrale, dont le décor sculpté est également dû au ciseau de Plantar.
L’œuvre d’Étienne-Hippolyte Godde, et en filigrane celle de son ornemaniste, permet ainsi de suivre la généalogie des pratiques et des praticiens de la restauration telle que celle-ci se dessine durant le premier tiers du xixe siècle. D’architecte en architecte, de chantier en chantier, s’opéra le passage d’une génération passionnée par l’Antiquité, qui découvre parfois timidement la cause gothique, à une autre, bercée par l’émergence du goût pour un passé médiéval.
L’historiographie souligne, à juste titre, l’arrivée de Viollet-le-Duc comme un bouleversement majeur, initiateur d’une réflexion spécifiquement appliquée au domaine de la restauration des édifices anciens. Elle fut en réalité aussi le fruit des deux décennies qui précédèrent son irruption. Le jeune architecte connut, fréquenta en effet les protagonistes de ces premières restaurations – Godde, Lassus, Plantar – et c’est à l’aune de ces expérimentations qu’il forgea progressivement la doctrine qui devait le hisser en figure de proue de la discipline.
Indications bibliographiques
Marie-Christine Ferrand de la Conté-Gélis, L’architecte Étienne-Hippolyte Godde (1781-1869), thèse de l’École des Chartes, École des Chartes, Paris, 1980.
Jean-Michel Leniaud, « Débats sur le bon emploi du néo-gothique. L’affaire du maître-autel de la cathédrale de Clermont-Ferrand », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art Français, 1979, p. 245-258.
Jean-Michel Leniaud, Jean-Baptiste Lassus, 1807-1857 ou Le temps retrouvé des cathédrales, Paris, Arts et métiers graphiques, 1980.
Jean-Michel Leniaud, Les cathédrales au xixe siècle : étude du service des édifices diocésains, Paris, Économica : Caisse nationale des monuments historiques et des sites, 1993.
Alice Thomine-Berrada, « L’Hôtel de Ville de Paris au xixe siècle : la création d’un modèle Renaissance », dans : Isabelle Backouche et al. (dir.), Notre-Dame et l’Hôtel de Ville : incarner Paris du Moyen Âge à nos jours, actes de colloque, Paris, Publications de la Sorbonne : Comité d’histoire de la Ville de Paris, 2016, p. 117-132.