« Pour un vrai musée de Notre-Dame de Paris à proximité immédiate de la cathédrale »

Dans cette tribune parue dans Le Figaro du 5 octobre 2022, Jean-Michel Leniaud et Philippe Plagnieux plaident pour l’ouverture d’un musée consacré à la cathédrale.

Tribune du Figaro du 2 octobre 2022 pour un musée Notre-Dame

Voici plus de deux siècle que l’État, devenu propriétaire des cathédrales, s’en est adjugé la maintenance : du Concordat (1801) à la Séparation (1905) pour en garantir la conformité aux besoins liturgiques mais aussi pour en diriger l’entretien et la restauration. Depuis le Consulat, d’innombrables quantités de mobilier, de vitraux et de sculpture, des montagnes de pièces de charpente, de couverture, des éléments de la mécanique des orgues, des cloches ont été retirées pour être remplacés. Au nom du principe énoncé par Plutarque qui affirmait que la barque des Panathénées restait la même de siècle en siècle quand bien même les restaurations l’eussent petit à petit entièrement refaites, on admet sans discussion que les cathédrales conservent leur authenticité initiale.

Quel est le statut des éléments de construction et de décor ainsi que celui des œuvres d’art retirées du bâtiment ? Force est de reconnaître que la « partie d’édifice » perd aux yeux de beaucoup la caractéristique qui, avant son retrait, en faisait une partie de l’« œuvre-patrimoine ». Si on excepte quelques peintures, des pièces de mobilier jugées majeures, et des fragments de sculpture retrouvés lors de fouilles ou déposées pour éviter leur ruine définitive (Chartres), la plupart de ces éléments démembrés sont entassés dans les combles ou les galeries, dans des dépôts lapidaires d’où quelque vol les extrait pour braquer les projecteurs sur eux. Nombre d’entre eux sont détruits en application de la clause contractuelle qui veut que l’entrepreneur de travaux ne puisse pas faire commerce des parties constructives qui auraient été remplacées.

Ici ou là, certes, à part le cas exceptionnel du Trésor-musée municipal de Sens de petits musées appelés « trésor de cathédrale » et généralement fermés à la visite et quelques artifices muséographiques dans les lieux de culte permettent à la fois l’usage liturgique des objets et leur présentation au public : ils sont rares à proposer les deux finalités à la fois (Troyes, Notre-Dame de Paris…), exigus, sans possibilité de développement, quelquefois victimes du vol (Lyon, Perpignan, Angoulême…). La cathédrale de Strasbourg est la seule qui bénéficie d’un musée, dit « musée de l’Œuvre » : on le doit à l’occupation allemande (1870-1914). On y trouve les sculptures déposées de la cathédrale. Heureusement : elles eussent été détruites par le temps.

L’administration française n’a pas voulu imiter l’exemple allemand ni d’autres exemples européens (par exemple Liège). Des quantités d’éléments intéressant l’archéologique matérielle ont été détruites. Des œuvres d’art l’ont été aussi, d’autres qui faisaient sens une fois regroupées ont été dispersées. Quelques réalisations n’oblitèrent pas les pertes.

Pourtant, chacune des grandes restaurations repose le même problème : que faire des parties de construction, de mobilier, de facture d’orgue que les travaux entrepris remplacent ? En France, si le moindre chantier archéologique possède son dépôt de vestiges exhumés, les chantiers de cathédrale se concluent par l’amnésie patrimoniale.

La restauration de Notre-Dame de Paris soulève à son tour la lancinante question : quid de ces innombrables débris que les archéologues ont étudié avec les moyens de notre temps ? Si on les porte à la benne ou si on les laisse dépérir (comme le grand piston déposé de la tour Eiffel au début des années 1980), qui pourra certifier qu’ils ont vraiment livré tous leurs secrets ? Continuera-t-on de fondre, pour produire des économies, les tuyaux d’orgue qui resteraient sans emploi ? Où déposera-t-on les fragments sculptés du jubé qu’on a récemment retrouvés ?

Prenons la question sous un autre point de vue. Qu’offrira-t-on à voir aux treize millions de touristes qui reviendront lorsque la cathédrale sera restaurée ? Continueront-ils de tourner en rond comme auparavant en polluant dangereusement d’humidité l’atmosphère intérieure ? S’entasseront-ils pour certains dans le Trésor construit sous la Monarchie de Juillet et saturé d’usage liturgique et de visiteurs ?

Un nouveau musée de Notre-Dame est nécessaire, qu’on l’appelle comme on voudra, « de l’Œuvre », ou de « la Cathédrale ». Il doit disposer de réserves importantes pour stocker les éléments déposés, de salles et de cimaises pour présenter les œuvres artistiques et historiques qui commentent la longue histoire de l’édifice. Aux manuscrits, sculptures, pièces d’orfèvrerie, peintures, œuvres d’art décoratif qui se trouvent dans les collections publiques, aux éléments du jubé et autres objets qui sont découverts actuellement par les fouilles archéologiques, aux vitraux, confessionnaux à qui l’actualisation des lieux ne permettra pas de retrouver leur place originelle, il faut ajouter les collections de la société des Amis de Notre-Dame. Créée en 1939 par des savants adossés à l’École des chartes et à l’Institut de France, elle possède des centaines d’œuvres relatives à l’histoire de Notre-Dame. Certaines, particulièrement connues, sont fréquemment reproduites, voire consultées. D’autres sont en cours de restauration par les soins de la Société avec l’aide de mécénats généreux. Elles ont vocation à être présentées au public.

Ce musée doit s’installer à proximité immédiate de la cathédrale, non seulement pour faire sens avec le lieu mais pour accueillir ceux des touristes qui souhaiteraient davantage qu’une seule visite de la cathédrale. L’idéal eût sans doute été de le construire en bordure du parvis. La Ville de Paris a préféré pour ce lieu des aménagements modestes. Une autre opportunité se présente : que deviendront l’Hôtel-Dieu et, en particulier, les bâtiments qui en marquent l’entrée ? L’intérêt général ne préconise-t-il pas de leur conférer une fonction muséale à l’usage de tous plutôt que d’en faire un hôtel pour privilégiés ?Il est temps qu’une grande ambition anime les pouvoirs publics, à la Ville comme à l’État : construire un nouveau musée, le Musée Notre-Dame pour accueillir les millions de touristes qui, une fois la cathédrale restaurée, se rendront dans la Cité.

Jean-Michel Leniaud, président de la Société des amis de Notre-Dame de Paris,
Philippe Plagnieux, vice-président de la Société des amis de Notre-Dame de Paris.