C’est à l’évêque Maurice de Sully que l’on doit le projet et la mise en chantier de la cathédrale de Notre-Dame, dont la première pierre a été posée en 1163. Le fait que Maurice de Sully ait engagé les travaux dès son accession indique que le projet avait été mûrement réfléchi.
Pour cette entreprise architecturale aux dimensions inédites, les religieux ont libéré un vaste emplacement, s’étendant bien au-delà de celui sur lequel s’élevait la cathédrale précédente, laquelle fut démolie au fur et à mesure de la progression du chantier gothique.
Afin de relever un tel défi, à la hauteur d’une ville qui s’imposait alors comme la capitale du royaume et dont l’école cathédrale rassemblait l’élite de la pensée intellectuelle européenne, l’évêque et le chapitre engagèrent, semble-t-il, un certain Richard le maçon, mentionné dans une charte de 1164. L’architecte conçut alors le plus ambitieux projet du temps, non seulement par ses proportions (122m de longueur et 35m de hauteur), mais également pour son parti architectural alliant modernité (élévation à quatre niveaux avec grandes arcades, tribunes, roses ouvrant sous les combles et fenêtres hautes ; systématisation de la voûte sur croisées d’ogives ; recours aux arcs-boutants dès le début du chantier) et références historiques – ainsi le plan à cinq vaisseaux qui reprend celui de la cathédrale élevée au haut Moyen Âge.
L’ouverture du chantier en 1163 est confirmée par l’analyse archéologique et les textes. Selon un chroniqueur contemporain, Robert de Thorigny, abbé du Mont-Saint-Michel, le chevet était terminé en 1177 à l’exception des voûtes hautes. La partie orientale de la cathédrale devait être entièrement terminée et voûtée au moment de la consécration de l’autel majeur célébré le 19 mai 1182.
La longueur considérable du chevet, sensiblement égale à celle de la nef, est l’une des innovations de la cathédrale de Paris, que l’on ne rencontre guère avant qu’à la cathédrale de Sens. La question reste posée de savoir si une telle solution a été le seul fait de l’architecte ou bien si elle a plutôt été imposée par Maurice de Sully ? Alors que traditionnellement le chevet constituait l’écrin du maître-autel (le sanctuaire) et que le chœur liturgique occupait les dernières travées de la nef, à Notre-Dame la nef se trouve entièrement dévolue à l’usage des fidèles alors que le chevet regroupe désormais le sanctuaire et le chœur des chanoines.
L’étude archéologique indique que le premier architecte n’a probablement réalisé que le chevet pour lequel il a privilégié le principe d’unité, en faisant appel exclusivement aux arcs brisés et aux croisées d’ogives, à un moment où les principaux monuments du nouvel art de bâtir d’Île-de-France n’avaient pas encore totalement renoncé aux arcades en plein cintre et aux voûtes d’arêtes.
L’architecte a privilégié la continuité des volumes avec un chevet à double déambulatoire, sans chapelles rayonnantes, de même largeur que celle des doubles bas-côtés de la nef. De même, il a aligné les bras du transept sur les murs extérieurs de la nef et du chevet. Il en résulte une certaine simplicité des masses externes, qui s’illustre également dans l’appareil décoratif de la nef centrale : des roses du second étage divisées par de simples croix de pierre ; une archivolte qui retombe sur les discrètes colonnettes encadrant les fenêtres hautes (ces deux derniers niveaux ayant été modifié au XIIIe siècle) ; une corniche à trois rangs de damiers.
On peut se demander si pour le plan général de la cathédrale le premier maître d’œuvre ne s’est pas inspiré de l’architecture cistercienne, notamment Clairvaux. Bien que de façon différente il est vrai, on retrouve le même souci d’enveloppement du chevet par un mur continu. À Notre-Dame, le pourtour extérieur du déambulatoire était simplement rythmé par une série de contreforts, par la suite intégrés dans les chapelles ajoutées vers 1300.
Le maître d’œuvre a également fait preuve d’une grande maitrise technique en élevant la nef centrale à près de 35m de haut pour une largeur de 12m, dépassant d’environ 5m le record précédent, jusque-là détenu par l’abbatiale romane de Cluny III (pour un vaisseau large de près d’une quinzaine de mètres il est vrai). Comme la plupart de ses confrères du domaine royal, il a adopté une élévation à quatre niveaux, tout en se démarquant de ces derniers à la fois par des proportions plus hardies (les nefs de Noyon et de Laon ne montent respectivement qu’à 21,50m et 24m pour une largeur identique).
Contrairement au parti adopté pour la cathédrale de Sens – une alternance de colonnes et de piles supportant les retombées faibles et fortes des voûtes sexpartites – le premier architecte de Notre-Dame-de-Paris a adopté le principe des voûtes sexpartites dont les retombées s’appuient sur des piles circulaires par le biais de faisceaux de trois colonnettes.
Comme pour toutes les cathédrales gothiques de la deuxième moitié du XIIe siècle, ce sont à la fois des arcs-boutants extérieurs et des tribunes voûtées d’ogives qui sont utilisées pour contrebuter le poids des voûtes.
Éclairées vers l’extérieur par des roses divisées par des rayons de pierre, ces tribunes s’ouvrent du côté du vaisseau central, depuis les travées droites jusqu’au rond-point, par des arcades brisées et géminées, prises sous un arc de décharge également brisé, et qui retombent sur une colonnette centrale. D’un dessin particulièrement sobre, ces ouvertures s’harmonisent parfaitement avec la simplicité des grandes arcades de l’étage inférieur.
Au-dessus des arcades et des tribunes, un troisième niveau de roses ouvrant sous les combles des tribunes a été percé. Ces roses étaient surmontées de fenêtres hautes.
Ce troisième niveau a été supprimé lors de l’agrandissement des fenêtres hautes au XIIIe siècle (qui ont intégré l’étage des roses), avant d’être restitué à la croisée du transept au cours des restaurations entreprises par Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus, mais en le transformant en un étage éclairé et vitré, alors qu’il ne l’était pas dans son état primitif.
Si l’utilisation d’arcs-boutants au chevet de Notre-Dame de Paris dès les années 1160 a divisé longtemps la communauté des historiens de l’architecture médiévale, les études les plus récentes, notamment celles d’Andrew Tallon, ont définitivement prouvé que le premier maître de la cathédrale gothique avait parfaitement intégré des arcs-boutants à son projet. Bien que le système de contrebutement ait été en grande partie modifié vers 1225 puis à l’époque rayonnante, et ensuite profondément restauré au XIXe siècle, l’étude archéologique jointe à l’observation des documents antérieurs aux interventions de Viollet-le-Duc autorise à restituer une série arcs-boutants à deux volées superposées.
La première reposait sur les contreforts du déambulatoire pour maintenir les voûtes des tribunes. La seconde, nettement plus longue, contrebutait le sommet du mur gouttereau. Conformément aux arcs-boutants du XIIe siècle, ceux du chevet de Notre-Dame étaient relativement simples. Les volées, pourvues d’un décor en pointe de diamant, étaient dépourvues de système d’écoulement des eaux pluviales. Leurs culées n’étaient pas surmontées de pinacles.
Des différences dans le traitement de la paroi entre le chevet et la nef laissent supposer l’intervention d’un deuxième architecte un peu avant 1180, à partir de la construction des parties occidentales du transept et de la nef. Ces modifications architecturales se traduisent notamment par une simplification dans le traitement et l’agencement des colonnettes. Le nouvel architecte a laissé pénétrer davantage de lumière dans les tribunes, en abandonnant les baies circulaires au profit de fenêtres à lancettes et, puisque les travées sont plus larges dans la nef que dans le chevet, en les ouvrant sur le haut-vaisseau par une triple arcade.
L’essentiel de la nef était achevé en 1196, à l’exception des deux premières travées occidentales de la façade, dont le style renvoie aux premières décennies du XIIIe siècle. Cette double travée occidentale est rythmée par des piles circulaires cantonnées de quatre colonnettes, dont le prototype apparaît à la cathédrale de Chartres à partir de 1194, pour se diffuser largement ensuite à partir de 1200.