Maîtres et élèves à Paris au Moyen Âge : le cas de l’école cathédrale

Conférence du 27 mars 2015 à l’Ecole des Chartes

Cédric Giraud, maitre de conférences en Histoire médiévale à l’université de Lorraine.

Comme pour toute école cathédrale, le chapitre de Notre-Dame est à l’origine de l’enseignement dans le diocèse puisque l’évêque possède le munus docendi (la charge d’enseigner) : tout enseignement ne peut donc se faire qu’en son nom et sous son contrôle, à travers le chanoine qu’il délègue à cette tâche (à Paris il revêt la dignité capitulaire de chancelier et ailleurs il porte généralement le nom d’écolâtre). Mais Paris voit l’émergence d’une université qui se forme à partir des écoles (et pas seulement celle de la cathédrale) qui se structure en studiumdoté de privilèges progressivement concédés par le roi et la papauté entre 1200 et 1231. Les XIIeet XIIIesiècles représentent donc le moment de rayonnement par excellence de l’école cathédrale et d’apparition de l’institution universitaire. Aux XIVeet XVesiècles, l’université a pris le pas sur l’école de la cathédrale.

  1. Les grands maîtres

1 Avant l’arrivée de Pierre Abélard

Des indices convergents étayent la réputation des écoles parisiennes au XIesiècle : Albert et Lambert sont connus comme maîtres dans les années 1040-1050, tandis que des maîtres de grammaire (grammatici) apparaissent au nécrologe de Notre-Dame à partir de 1050. Un passage de la Vitade Robert d’Arbrissel signale que le futur fondateur de Fontevraud trouva à Paris un enseignement conforme à ses vœux au début des années 1080.

2 Guillaume de Champeaux et Pierre Abélard

Arrivant à Paris au début des années 1100, Pierre Abélard reconnaît le rôle éminent alors joué par l’école cathédrale et par Guillaume de Champeaux, archidiacre de Notre-Dame et maître renommé dans l’enseignement de la dialectique et de la rhétorique. Mais les relations entre le maître et l’élève tournèrent vite à l’aigre tant Abélard harcelait son maître dans le but explicite de lui ravir sa place au sein de l’école cathédrale.

Héloïse et Abelard, XIVe, © Musée Condé, Chantilly

L’accession de Guillaume de Champeaux à l’épiscopat en 1113 permit à Abélard de revenir à Paris. C’est lors de ce séjour parisien que, logeant dans le cloître chez le chanoine Fulbert, il séduisit Héloïse : le dénouement tragique de cette liaison en août 1117 mit un terme à l’enseignement parisien d’Abélard.

 

3 La génération des grands maîtres

À partir des années 1150, Paris acquiert un rang notable parmi les écoles cathédrales du royaume de France et même d’Occident. On peut citer Pierre Lombard dont l’œuvre la plus importante est le Liber sententiarum ou Livre des Sentences et Pierre le Mangeur († 1179), élève de Pierre Lombard, maître puis chancelier de Notre-Dame, auteur d’une oeuvre qui présente l’histoire biblique depuis le paradis terrestre jusqu’à l’Ascension.

© Bibliothèque Mazarine
  1. Le fonctionnement de l’École cathédrale
1 L’emplacement de l’école

Afin de rendre au cloître sa quiétude apparemment troublée par les écoliers, le règlement de l’évêque Étienne de Senlis (vers 1127) interdit l’enseignement dans une partie du cloître dite Tresantia(peut-être derrière le sanctuaire), tout en défendant de loger les écoliers venant de l’extérieur dans les maisons des chanoines. Après l’accord de 1127, les écoles s’installèrent donc au sud de l’île de la Cité, selon un mouvement qui transforma progressivement la rive gauche de la Seine en quartier des écoles.

2 Le rôle du chancelier

La charge des écoles était assurée par le chancelier nommé, comme le chantre et les trois archidiacres, par l’évêque. Outre la garde du sceau, le chancelier avait la charge de la bibliothèque, à l’exception des livres de chant qui relevaient de la responsabilité du chantre. Ce dernier était également en charge des petites écoles parisiennes et de la formation des enfants de chœur de Notre-Dame formés au trivium.

3 La bibliothèque et l’enseignement
Pierre Lombard écrivant son liber sententiarum (XIIe)

Les premiers inventaires de la bibliothèque remontent au XIIIesiècle et consistent dans des listes fragmentaires de livres appartenant au chapitre. Le fonds, dont on peut raisonnablement supposer qu’il remontait à l’époque carolingienne, s’enrichit grâce aux dons de maîtres qui léguaient à la cathédrale leurs livres personnels. Un des exemples les plus connus est celui du maître et évêque Pierre Lombard qui laissa à Notre-Dame, sans doute pour en faire bénéficier les élèves de l’école cathédrale, une partie de sa bibliothèque : ses livres glosés de la Bible, son propre Livre des Sentences, le Décret de Gratien et un bréviaire en deux volumes.

Conclusion : La réputation de l’école cathédrale

Le succès des écoles parisiennes donna naissance à une littérature où la critique le disputait à l’éloge. Paris, nouvelle Babylone, était vue par les uns comme une cité de perdition où de vaines disputes sur la signification des mots corrompaient les âmes. D’autres, comme Jean de Salisbury dans une lettre de 1164, préféraient dresser la liste des avantages dont bénéficiait la ville : abondance des vivres, heureux tempérament des habitants, respect pour le clergé, gloire de l’église parisienne et variété des activités philosophiques, tout concourt à faire de Paris une échelle de Jacob dressée vers le ciel.

Voici comment Eustache Deschamps décrit en 1394 l’amour des étudiants étrangers pour Paris :

« Tuit estrangier l’aiment et ameront
Car, pour deduit et pour estre jolis,
Jamais cite tele no trouveront :
Rien ne se puet comparer Paris ».